Terre de pois chiches

Dans le nord d’Aix-en-Provence, on ne moissonne pas seulement le blé. (Re)découverte sur pied du pois chiche, une légumineuse frugale et nourricière remise au goût du jour. 

Louis Coustabeau part croquer un pois chiche dans un champ de plantes herbacées, dont les gousses arrondies ont tourné au jaune pâle sous le soleil de l’été. Si la graine bosselée s’écrase en bouche, c’est qu’elle contient encore trop d’eau pour être récoltée. Si, au contraire, sa texture est cassante sous la dent, il est temps de moissonner. Nous sommes dans la plaine de La Roque-d’Anthéron, gros village entre colline et Durance, face aux contreforts du Luberon. C’est ici que Louis, maraîcher et humidimètre humain – les gros exploitants travaillent avec des instruments électriques –, veille sur sa ferme familiale d’une quinzaine d’hectares. Il y cultive en bio des fourrages pour les éleveurs, ainsi que plus de quatre-vingts variétés de légumes et quelques fruits au fil des saisons. Ses mescluns d’hiver ? De la dentelle vive et parfumée, qui garnira bientôt les paniers de l’Amap rocassière Le Petit Verger ou les rayons du magasin de producteurs Ma terre,à Aix.

Les pois chiches se récoltent secs, lorsque les graines « sonnent » dans les gousses où elles se blottissent seules ou à deux. La culture a beau être en plein renouveau, il reste rare de pouvoir contempler ces petits grelots végétaux dans leur habitat naturel. Chaque année, à partir de mi-juillet et jusqu’à début août, Louis observe les plantes et la météo pour déterminer la date de moisson optimale. En ce 23 juillet, un orage d’avant-veille a réveillé la verdeur ambiante mais, faute de récolte, les graines pourraient s’abîmer, tomber ou être dévorées par les sangliers. Il est temps de faire tourner l’antique moissonneuse-batteuse Fiat, une top-modèle italienne que Louis partage avec son ami François Borel. Ce dernier produit de la brousse du Rove, d’autres fromages de chèvre et de l’huile d’olive à une poignée de kilomètres, dans un vallon arboré que l’on aperçoit depuis la parcelle maraîchère.

Les deux paysans option mécano nourrissent la moissonneuse au gasoil et, par souci d’économie et de potacherie, à l’huile de friture usagée. Les pois chiches, avalés en même temps que la plante, sont battus, soufflés et secoués dans le ventre de la machine. « Comme la moissonneuse est vieille et non insonorisée, on entend la musique du grain qui tombe dans le réservoir, indique François, au volant. À l’oreille, je sais que tout se passe bien. » De son côté, Louis navigue entre la terre et le toit de l’engin pour vérifier les réglages. Les graines sont triées à travers une grille dont la maille est choisie en fonction de leur taille, puis déversées dans des caisses agricoles. En raison des pluies récentes, salutaires pour les cultures, le séchage sera peaufiné en plein air.

Cicer arietinum, nom de l’espèce botanique du pois chiche, a été domestiqué il y a plusieurs milliers d’années au Moyen-Orient. Il apprécie les sols calcaires et bien drainés de la Provence où il a longtemps garni les tables quotidiennes, parfois moulu en farine pour préparer les panisses, voire un ersatz de café en période de guerre ou de pénurie. Il était consommé lors des fêtes religieuses, notamment le dimanche des Rameaux. L’imaginaire de la plante, résistante et adaptée aux terres pauvres, est associé à la frugalité et à la contrition. On redécouvre aujourd’hui ses qualités nutritionnelles, notamment une forte teneur en protéines, et agronomiques. « Comme les autres légumineuses, le pois chiche fixe l’azote atmosphérique dans les sols, ce qui améliore leur fertilité sans engrais de synthèse, explique Louis. C’est pour cette raison qu’il est traditionnellement intégré dans les rotations culturales. »

Peu gourmand en eau, le pois chiche a surtout besoin d’humidité pour germer après les semis, que Louis effectue entre février et mars. La Roque-d’Anthéron est bordée par la Durance, rivière impétueuse dont on disait jadis qu’elle était l’un des trois fléaux de la Provence avec le mistral et le parlement d’Aix. Maîtrisée, elle a permis de créer un vaste réseau d’arrosage gravitaire, selon un système ancestral qui repose sur des canaux et les pentes des terrains. Mais pour l’heure, l’eau n’est plus nécessaire. Il reste au sol quelques graines et des tiges garnies de gousses, que Louis laisse pour nourrir les bêtes sauvages. « C’est la part des grives », précise François.

Houmous provençal d’Émeric Corbon, chef du restaurant Le Jas à La Roque-d’Anthéron 

Faire tremper 100 g de pois chiches secs pendant 24 h. Les égoutter et les plonger dans de l’eau froide. Faire chauffer et, à ébullition, écumer puis ajouter une garniture aromatique composée d’oignon, d’ail, de thym des collines et de laurier. Laisser cuire à feu doux jusqu’à ce que les pois chiches soient tendres (1 h à 3 h). Les égoutter en gardant un peu de bouillon.

Mixer les pois chiches refroidis (environ 300 g) avec 50 g de tahini, 1 gousse d’ail épluchée, le jus d’1/2 gros citron et 1 cuillère à café de cumin moulu, ainsi que du bouillon de cuisson pour obtenir une texture onctueuse. Tartiner sur du pain grillé ou servir avec des crudités.