Dans les hauteurs d’Aix, Christophe et Elise font vivre la céramique au cœur d’un atelier réinventé, où inspiration et partage se répondent. Terre d’accueil de trois générations d’artisans, cet écrin de nature nourrit, depuis 2013, une passion profonde assortie d’une ambition déterminée : façonner la terre comme on construit son histoire.

Le calme. La tranquillité. Dès les premiers pas sur le domaine de l’Atelier des Potiers, l’esprit s’allège. L’équilibre entre la pureté du paysage et la modernité architecturale de l’atelier sonne comme une introduction à celui, plus intime, entre héritage et création contemporaine que l’on retrouve dans les pièces de Christophe. Tout comme de ce lieu, il a hérité du geste, du savoir-faire
Son père, Christian de Mons, bien que très doué dans son domaine, a cependant passé sa carrière dans la céramique en retrait de son milieu : « il n’avait pas vraiment intégré le groupe de potiers qui existait à l’époque », raconte Christophe. Devenu sourd dans l’enfance après avoir contracté une méningite, l’artisan développait sa pratique dans une forme de solitude silencieuse, ce qui ne l’empêchera pas de transmettre son savoir-faire à son fils. Le travail de la terre apparaissant comme un langage vivant entre eux, capable de pallier cette ouïe qui faisait défaut au père.
Pendant un temps, Christophe a porté cet héritage comme une trajectoire évidente qui s’imposait à lui. « J’avais repris cette activité, j’aime pas le dire, mais un peu par dépit ou par facilité, parce que je ne savais pas quoi faire de ma vie et que j’étais né dedans. » Mais, en 2010, saturé par un univers qui ne lui ressemblait pas encore tout à fait, il s’est échappé le temps d’une parenthèse, quelques années en tant que charpentier.

De l’héritage à la passion
C’est au retour de cette pause qu’il a su donner un nouveau souffle à son métier. Lui qui avait repris le travail de son père à l’identique, conservant un style classique « à la française », découvre sa propre signature et se surprend à être pris de passion pour un métier qu’il considérait comme simple héritage. « J’adore ce métier », révèle Christophe, qui admet même se laisser dévorer par l’inspiration au point d’en oublier un peu le domicile familial, pourtant à deux pas de son atelier. Ce tournant s’incarne également dans le geste : là où son père n’utilisait que le coulage et le moulage pour fabriquer ses pièces, il apprend, quant à lui, à maîtriser le tour.
Après le décès de son père, c’est aux côtés d’Élise, sa femme, qu’il réinvente l’atelier. Ensemble, ils ramènent de la lumière, de l’espace, transformant ce qu’il qualifie de « joli capharnaüm » en un lieu fidèle à leurs goûts, où travail rime avec apaisement.

Un lieu d’apaisement et d’inspiration
De l’extérieur, se dégage presque une ambiance de vacances. La terrasse, habillée d’un salon de jardin esprit « hôtel en bord de mer », invite à souffler loin de l’agitation de la ville. L’atelier est baigné de la lumière que les grandes baies vitrées laissent entrer, autant que des couleurs vives des émaux qui parent les céramiques ornant étagères et espaces de travail.
Pas une pièce ne se ressemble. Entre les céramiques de collection que Christophe a chinées, au gré des signatures familières ou des styles qui lui parlent, et les « crash test » légèrement ébréchés, on parcourt le lieu comme on découvre une exposition. Un verre à bière d’Antonio Lampecco voisine avec un pied de lampe signé Roger Collet, non loin d’une création de Christophe, fissurée à la cuisson par la tension entre un émail noir du Japon et un émail craquelé posés sur une terre rouge.
Les grands noms des céramistes des années 1960 sont une inspiration forte pour l’artisan, qui aime utiliser les styles qu’il admire pour challenger son art. Il se laisse porter par un souffle rétro, marqué par des formes simples et des « couleurs punch », qui rappelle les premières pièces réalisées par son père. Le défi, en jouant avec ces codes, c’est de ne pas « tomber dans le kitsch » confie Christophe.
Au-dessus du four bleu de l’atelier trône une pièce impressionnante : une coloquinte encore d’un blanc brut, immaculée de l’émail coloré qui viendra bientôt l’habiller. C’est le modèle phare du céramiste, haute de 80 centimètres de haut, « c’est la pièce la plus grande que j’ai réalisée au tournage ». Il nous confie même qu’elle ne rentrera pas dans le four sans en retirer les plaques réfractaires, ces dalles conçues pour répartir la chaleur aux céramiques qu’elles accueillent pendant la cuisson.
Au-delà des artistes qui ont travaillé la terre avant lui, les sources d’inspiration de Christophe ne manquent pas. Il se décrit lui-même comme un grand contemplatif, dont les idées naissent aussi bien d’une « sculpture en bois » que d’un « luminaire en papier ». Toutefois, ce qui, par-dessus tout, éveille en lui son âme d’artiste, c’est la nature. À l’atelier, il lui suffit « d’ouvrir en grand les baies vitrées pour travailler avec le chant des oiseaux ».
La vue sur les hauteurs d’Aix, le bruissement des feuilles, les effluves de résine dégagées par les cyprès… tout ici s’accorde pour créer un environnement idyllique, propice à la création. Une simple feuille d’olivier jaune, parsemée de taches vertes, trouvée au sol, pourrait bien inspirer l’une des prochaines pièces de l’artisan.

Du plaisir de créer à l’art de transmettre
Aujourd’hui, ce lieu chargé d’énergie créatrice, Christophe et Elise le partagent avec d’autres. Depuis quelques années, des cours et stages sont proposés ici, ouverts aussi bien à ceux qui cherchent à affiner leur technique qu’à ceux en quête de déconnexion. Venir à l’atelier travailler la terre et sa créativité, « c’est un peu un retour à l’enfance » pour certains.
Ce qui, à l’origine, devait simplement relancer l’activité de l’atelier est aussi devenu un moteur pour Christophe. « J’aime transmettre la technique, j’aime transmettre ce patrimoine. Et j’aime voir que mes élèves deviennent bien meilleurs que quand ils sont arrivés, voir la petite lumière dans leurs yeux. »
Et lorsque l’on évoque l’hypothèse que ses enfants fassent un jour perdurer l’atelier, s’il ne cache pas la fierté qu’il pourrait ressentir à les voir s’y épanouir, le céramiste affirme « je ne les pousserai pas ». Son maître mot ? Le soutien. Quelle que soit la passion qu’ils développent. Là encore, c’est cette petite lumière qui compte le plus. Une lumière qu’il sait, mieux que personne, être tout aussi puissante que fragile.